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renaud girard - Page 2

  • Les Chinois, grands gagnants de la guerre en Ukraine...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard cueilli sur Geopragma et consacré à la position chinoise concernant la guerre russo-ukrainienne. Grand reporter au Figaro, Renaud Girard est membre du comité d'orientation stratégique de Geopragma.

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    Les Chinois, grands gagnants de la guerre en Ukraine

    « L’Amitié entre le peuple chinois et le peuple russe est solide comme un roc et les perspectives de coopération future sont immenses » a affirmé devant la presse, le lundi 7 mars 2022, le ministre chinois des Affaires étrangères. C’est une inflexion majeure de la politique chinoise qui, jusqu’à présent considérait le respect de l’intégrité territoriale des États comme la pierre angulaire des relations internationales. 

    En leur for intérieur, les dirigeants communistes chinois n’approuvent pas l’invasion de l’Ukraine décidée par Vladimir Poutine. La séquence russe actuelle contre l’Ukraine leur rappelle trop la séquence japonaise contre leurs grands-parents. Le Donbass de 2014 leur rappelle l’invasion de la Mandchourie de septembre 1931. L’invasion générale de l’Ukraine leur rappelle l’agression japonaise de 1937 et la prise de Pékin dès le mois d’août 1937.

    Mais les hiérarques chinois taisent leur réprobation, afin de s’enfoncer dans la brèche stratégique que leur a ouverte le président russe. Les sanctions générales décidées par les Occidentaux contre la Russie vont à moyen terme faire d’elle un vassal économique de la Chine. Les stratèges de Pékin ne pouvaient pas laisser passer une pareille aubaine.

    Quand vous entrez dans un grand magasin à Moscou, les étalages sont parfois mieux garnis qu’à Paris. Mais la plupart des produits sont importés d’Europe, d’Amérique du nord ou de Chine. Le problème pour les Russes est désormais qu’ils n’ont plus accès aux services financiers de l’Occident (paiements Swift, cartes de crédit internationales, prêts en euros et en dollars, virements sécurisés, etc.). Donc ils devront passer par la Chine pour importer les produits qui leur manqueront. Les Russes rêvent d’un système financier mondial qui ne soit plus sous la coupe des États-Unis. Ils veulent créer, avec les Chinois, un système de paiements internationaux alternatif à l’hégémonie du dollar. Mais ce nouveau système sera forcément chinois. 

    En attendant, les grandes banques chinoises se montrent courageuses, mais pas téméraires. Comme elles ne veulent pas prendre le risque d’être interdites d’accès aux marchés du dollar et de l’euro, elles ne contournent pas au profit de la Russie les interdictions décidées à Washington et à Bruxelles.

    Les Chinois utiliseront la Russie comme leur premier fournisseur d’énergie et de métaux. Ils la gaveront de produits manufacturés. Ils feront de grandes réceptions diplomatiques pour louer leur partenariat avec Moscou. Mais ils auront l’intelligence de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Pour les hydrocarbures, ils garderont des liens d’approvisionnement avec l’Iran et avec les pétromonarchies arabes du Golfe Persique. Les Émiratis font de moins en moins confiance aux Américains. Voilà pourquoi, aujourd’hui, ils ont choisi la France comme plan B en matière de sécurité, et la Chine comme nouveau client privilégié de leur pétrole et de leur gaz.

    Sur le long terme, la colonisation chinoise de la Sibérie continuera. Il sera en effet très difficile à Vladimir Poutine de refuser des visas aux Chinois désireux de résider en Russie.

    Bref les Chinois sont les grands gagnants de cette guerre absurde entre frères russes et ukrainiens. Ils l’observent calmement, constatant qu’elle n’est pas guerre de civilisation mais plutôt sanglante querelle de famille. 

    Les Chinois sont heureux de tirer toutes sortes de leçons. Ils voient la difficulté qu’a l’armée russe à avancer dans les villes face à un adversaire déterminé à se battre. Ils admirent le talent des Ukrainiens dans la communication. Ils constatent la capacité de l’Occident à resserrer les rangs dès lors qu’il est menacé. Ayant étudié tout cela, ils vont se montrer très prudents avant d’envahir Taïwan.

    Les Chinois sont les grands gagnants de cette affaire et ils sont les seuls. Les autres acteurs géopolitiques sont tous perdants, à des degrés divers et sous des formes diverses. Les Ukrainiens ont gagné la sympathie du monde occidental, mais ça ne leur rendra pas leurs morts, ni leurs immeubles détruits. Les Russes sont d’ores et déjà de très grands perdants car occuper un champ de ruines n’a jamais rien rapporté à personne. Leur économie va prendre un retard qui sera très difficile à rattraper par les jeunes générations post-Poutine. 

    Les États-Unis sont de très petits perdants, car ils pourront vendre du gaz de schiste à l’Europe. Plus que jamais guidés par leurs émotions, les Européens seront de grands perdants car ce sont eux – pas leurs alliés américains – qui faisaient beaucoup de commerce avec les Russes.

    L’imprudence des Occidentaux à n’avoir pas fermé définitivement, en avril 2008, l’accès à l’Otan, et l’agression folle de Poutine apparaissent comme un cadeau du ciel aux Chinois. Ils ne s’y attendaient pas le moins du monde.

    Renaud Girard (Geopragma, 9 mars 2022)

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  • L'invasion de l'Ukraine, une faute cardinale ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard, cueilli sur le site de Geopragma et consacré à la décision de Vladimir Poutine de faire envahir l'Ukraine par l'armée de la Fédération de Russie. Grand reporter au Figaro, Renaud Girard est membre du comité d'orientation stratégique de Geopragma.

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    Les trois erreurs de jugement de Vladimir Poutine

    Quelle dégringolade stratégique !

    A l’été 2021, Vladimir Poutine était au plus haut de sa cote dans la savane des grands fauves de la géopolitique. Il était à la fois craint et respecté dans le monde. Le président américain s’était déplacé au mois de juin jusqu’à Genève pour s’entretenir avec lui. Avec Joe Biden, Poutine avait reconduit pour cinq ans le traité START de limitation des armements stratégiques. Un cessez-le feu dans la cyber guerre avait également été trouvé entre les Etats-Unis et la Russie. Biden avait même fini par accepter l’ouverture du gazoduc North Stream 2, amenant directement, par la Baltique, le gaz russe à l’Allemagne. En Asie, Poutine avait établi d’excellentes relations avec la Chine, tout en maintenant le lien historique de l’Inde et de la Russie. Il n’avait pas de mauvaises relations avec le Japon et la Corée du Sud. Au Moyen-Orient, Poutine n’avait que des amis, son soutien militaire à la dictature syrienne de septembre 2015 ne lui ayant aliéné ni Israël, ni l’Arabie saoudite, l’ex grand argentier de la rébellion syrienne. En Europe, Poutine avait établi une relation presque amicale avec les leaders français et allemand. Juste avant de se retirer de la politique, la chancelière Merkel lui avait rendu visite à Moscou, le 20 août 2021, afin de lui faire ses adieux. Une visite de courtoisie qu’elle ne fera pas au maître de la Chine.

    En reniant ses promesses et en agressant militairement l’Ukraine à l’aube du jeudi 24 février 2022, Vladimir Poutine a commis un acte quasi-suicidaire. Il s’est, tout seul, déplacé du Capitole vers la Roche Tarpéienne. Son invasion d’un pays voisin, pacifique, historiquement frère, reconnu librement par la Russie depuis 1991, est incompréhensible. C’est un acte géopolitiquement irrationnel. Je ne l’avais pas du tout vu venir, je dois le reconnaître humblement.

    Envahir l’Ukraine : pour gagner quoi ? La condamnation du monde civilisé ? La haine définitive des Ukrainiens ? La démotivation puis l’embourbement de son armée ? La mort de jeunes soldats russes par milliers ? L’isolement de la Russie et sa faillite économique ? L’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne ?

    Annexer la Crimée, sans effusion de sang comme il l’avait fait en mars 2014, était un geste qu’on ne pouvait pas légalement entériner (son prédécesseur au Kremlin ayant garanti l’intégrité territoriale de l’Ukraine par le mémorandum de Budapest de décembre 1994) mais qu’on pouvait comprendre : Poutine voulait éviter que Sébastopol, port militaire de la flotte russe en Mer Noire, tombe aux mains de l’Otan. Faire, en 2014 et 2015, couler le sang russe et ukrainien au Donbass, avait déjà été une erreur stratégique de Poutine. Il n’avait fait que consolider le nationalisme ukrainien – en 2010, une moitié des Ukrainiens avait voté pour un président prorusse ; au premier tour des élections présidentielles de 2019, le candidat prorusse n’obtiendra que 11,7% des voix.

    Mais, en envahissant la totalité de l’Ukraine, Poutine a commis une faute cardinale. Il a d’ores et déjà perdu quatre guerres. La guerre morale, en violant la Charte des Nations Unies. La guerre de la communication en traitant Zelensky de nazi : le président ukrainien, courageux et stratège, est devenu un héros pour le monde entier. La guerre économique, car même les banques chinoises se conformeront à la fermeture de l’accès au dollar et à l’euro, imposée aux banques russes. La guerre diplomatique, en effaçant le sentiment de culpabilité qu’avait Berlin envers Moscou depuis l’opération Barbarossa, ainsi que le désir de neutralité de la Finlande et de la Suède. Pourtant Poutine avait été maintes fois averti, notamment par Emmanuel Macron, qu’il courrait au fiasco en passant l’acte.

    Cinq jours après son agression, Poutine est tombé au plus bas de sa cote internationale. Il n’est plus respecté, ni même craint, comme le montre la décision allemande de livrer des missiles antiaériens portatifs Stinger à la Résistance ukrainienne.

    Cette dégringolade est dû au cumul de trois erreurs de jugement, toutes inspirées par le mépris. Poutine a pensé à tort que les Ukrainiens ne se défendraient pas et que son expédition militaire serait une promenade de santé. Son mépris affichée pour l’UE l’a conduit à sous-estimer la capacité d’union des Européens face au danger. Enfin, sa bunkérisation, loin des élites intellectuelles russes (très opposées à cette guerre), l’a empêché de prendre conseil dans son propre pays.

    Le président français continue à parler à son homologue du Kremlin. Macron a raison car la priorité est d’arrêter le bain de sang entre frères ukrainiens et russes. Poutine a exigé la démilitarisation puis la finlandisation de l’Ukraine, ainsi que la reconnaissance de l’annexion de la Crimée. En utilisant ses blindés, il les a rendues plus improbables que jamais.

    Renaud Girard (Geopragma, 1er mars 2022)

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  • Crise migratoire : le bal des hypocrites...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard, cueilli sur Geopragma et consacré au dernier épisode de la crise des migrants à la frontière polonaise, qui donne une nouvelle illustration de l'impuissance de l'Europe. Renaud Girard est correspondant de guerre et chroniqueur international du Figaro.

     

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    Crise migratoire : le bal des hypocrites

    Pourquoi les images où l’on voit des migrants du Moyen-Orient tenter de passer en force en Pologne à partir du territoire de la Biélorussie sont-elles pour nous si troublantes ? Seraient-elles significatives d’une triple impuissance de l’Union européenne (UE) ?

          En premier lieu, personne ne semble plus respecter les règlements de l’UE sur l’immigration extra-européenne, lesquels prévoient des procédures strictes quant à l’immigration de travail, ou l’obtention du statut de réfugié politique. Tout se passe comme si la loi européenne avait une vocation naturelle à être piétinée. On voit de solides jeunes hommes s’attaquer, en toute impunité, avec des cisailles et des pioches, aux barrières de la frontière polonaise. Depuis qu’Angela Merkel a pris la décision unilatérale d’ouvrir grand les frontières de l’Allemagne en septembre 2015 (pour les refermer un mois après), les jeunes gens débrouillards et dotés d’un bon réseau de passeurs se sont arrogés le droit de s’installer sur le territoire de l’Union européenne. Nulle part ailleurs dans le monde, on ne voit de frontière aussi laxiste, et une telle tolérance face aux réseaux criminels de trafic des êtres humains. En Afrique du nord et sahélienne, ces réseaux se livrent aussi au trafic de la drogue. Ils y financent les mouvements djihadistes. Ils sont passés maîtres dans l’art de solliciter, en Méditerranée, l’aide des ONG, qui sont devenues les idiots utiles du trafic des personnes.

          En deuxième lieu, l’UE est la seule organisation au monde à qui des Etats fassent aussi ouvertement du chantage. Au mois de février 2020, la Turquie d’Erdogan, furieuse du peu de soutien de l’Occident après la perte de 33 de ses soldats en Syrie, et désireux d’obtenir davantage d’argent de l’UE, avait mis à exécution sa menace d’ouvrir les vannes des flux migratoires. Les forces de sécurité turques avaient amené en autocars des milliers de migrants devant les postes frontières grecs. Équipés de béliers, ces jeunes hommes musulmans s’attaquaient aux barrières délimitant la frontière extérieure de l’UE, au cri de « Yunanistan ! », qui est le nom turc pour la Grèce.

          Depuis l’été 2021, nous avons vu la Biélorussie de Loukachenko faire preuve d’une incroyable mansuétude à l’égard des filières de trafics d’êtres humains, qui avaient repéré son pays comme une base de départ idéale pour l’immigration illégale vers l’UE. Des policiers biélorusses ont même conduit certains migrants moyen-orientaux vers la frontière polonaise. Le dictateur biélorusse aurait très bien pu, dès le mois d’août 2021, alors que le manège des trafiquants était devenu clair, arrêter ce flux de jeunes hommes moyen-orientaux vers son pays. Il ne l’a pas fait. Pour faire chanter l’UE, afin qu’elle reconnaisse son régime issu d’élections tronquées.

          Les 27 pays de l’UE ont eu raison de refuser le chantage et de brandir des sanctions contre les compagnies aériennes qui continueraient à se livrer à ce trafic. Par peur de nouvelles sanctions, Loukachenko a changé d’attitude le 15 novembre 2021. Il s’est engagé à ce que son administration persuade les migrants de retourner chez eux, tout en faisant mine d’être étonné par leur réticence.

          Enfin, l’UE étale son impuissance institutionnelle. En six ans, elle n’est pas parvenue à une réponse commune et efficace sur le problème des migrants. La décision solitaire de la chancelière allemande a créé un formidable appel d’air. Des dizaines et des dizaines de millions d’Africains et de Moyen-Orientaux rêvent désormais de venir s’installer dans la prospère et généreuse UE. Mais elle n’a ni les moyens économiques, ni la disposition culturelle, ni la volonté politique, de les accueillir.

          Face à cette réalité se déploie le bal des hypocrites. Les dirigeants européens se drapent dans leurs bons sentiments mais comptent sur le pays voisin pour faire le sale boulot de refouler les migrants. Dans l’UE, la démocratie ne va pas jusqu’à demander à ses citoyens s’ils souhaitent ou non vivre dans une société multiethnique. La présidente de la Commission européenne a osé déclarer que l’UE « ne saurait financer en Pologne des murs et des barbelés » mais elle ne propose aucune solution viable au problème de l’immigration clandestine.

          L’UE n’a toujours pas réussi à dire au monde combien de migrants elle était disposée à accueillir. Veut-elle se limiter aux véritables réfugiés politiques, persécutés dans leurs pays pour leur promotion des valeurs européennes ? Veut-elle élargir son accueil ? A qui ? Aux réfugiés économiques ? A quel rythme ? A quelles conditions ?Les frontières constituent un sujet politique sérieux. Si l’UE ne le traite pas très vite et une fois pour toutes, elle court à l’éclatement. Voici du pain sur la planche pour la France, qui prendra la présidence de l’UE à compter du 1er janvier 2022.

    Renaud Girard (Geopragma, 27 novembre 2021)

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  • Taïwan : une stratégie chinoise de la strangulation lente ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard cueilli sur Geopragma et consacré à la stratégie chinoise pour annexer l'île de Taïwan malgré le soutien des États-Unis dont celle-ci bénéficie...

     

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    Taïwan : une lente strangulation chinoise

    Interrogé en public sur la question de Taïwan par un journaliste le 21 octobre 2021, le président américain actuel est sorti de l’ambiguïté stratégique que tous ses prédécesseurs avaient soigneusement conservée depuis que les États-Unis ont, en 1979, reconnu officiellement la République populaire de Chine et sa doctrine d’un seul pays. Joe Biden a affirmé que si les forces communistes de l’Armée populaire de libération chinoise attaquaient Taïwan, l’Amérique se porterait militairement au secours de la petite île démocratique agressée.

    Le sujet était dans tous les esprits, dans la mesure où l’ambassadeur de Chine à Washington, Zhang Jun, venait de critiquer publiquement « les dangereuses actions américaines dans le détroit de Formose ». Ce diplomate de haut rang manie parfaitement l’inversion accusatoire, procédé rhétorique consistant à accuser l’autre de ses propres noires intentions. C’est en effet l’armée de l’air chinoise qui a multiplié, aux mois de septembre et d’octobre 2021, les vols dans la zone de défense de Taïwan et non les chasseurs-bombardiers américains qui sont allés frôler les côtes de la Chine populaire. L’ambassadeur voulait-il critiquer le passage de bâtiments de l’US Navy à travers le détroit, qui fait quand même 170 kms de large ?

    Aucune nation occidentale, ni même asiatique, ne reconnaît la prétention de la Chine à accaparer ce détroit, comme elle prétend accaparer la Mer de Chine du Sud. Dans cette mer plus vaste que la Méditerranée, qui va lécher les rives du Vietnam, de la Malaisie, de Brunei et des Philippines, l’armée chinoise s’est emparée d’une demi-douzaine de récifs jusque-là inhabités et considérés par le droit maritime international comme des terrae nullius (des territoires n’appartenant à personne). Elle les a poldérisés, et y a construit des aérodromes. Elle y a placé des missiles et des bombardiers stratégiques. Elle veut contrôler cet espace maritime, pas seulement pour ses richesses halieutiques ou pétrolières, mais aussi parce que c’est le chemin qu’empruntent ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins pour rejoindre les eaux profondes de l’Océan Pacifique.

    En matière de dissuasion nucléaire, la Chine s’est longtemps tenue à la politique de modération prônée par Deng Xiaoping. Elle avait adopté le modèle français d’un armement nucléaire minimum, juste capable d’une dissuasion du faible au fort. Avec Xi Jinping, elle a changé de stratégie, pour passer à un armement nucléaire important, capable d’intimider les autres puissances nucléaires de la planète. Elle vient de tester une arme hypersonique orbitale, capable de déjouer tous les systèmes de détection existant.

    Assisterons-nous, au cours de cette décennie, à une guerre navale entre la Chine et l’Amérique pour le contrôle de Taïwan ? Rationnellement, la Chine communiste n’a aucun besoin de cette île montagneuse de 36000 km2 et de 23 millions d’habitants pour pouvoir continuer à se développer et à s’enrichir. Certes la firme taïwanaise TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) est la championne du monde des processeurs de smartphones et des microcontrôleurs de véhicules automatisés. Mais la Chine populaire, qui produit 50000 ingénieurs de très haut niveau par an, ne tardera pas à rattraper Taïwan dans le domaine des semi-conducteurs.

    Le problème n’est pas un quelconque désir de prédation mais plutôt l’orgueil. Xi Jinping est un nationaliste extrême, qui rêve de ramener Formose au sein de la mère patrie. Sa répugnance à la prise de risque est moindre que celle de ses prédécesseurs à la tête du parti communiste. Ces derniers rendaient des comptes auprès de leurs pairs du Comité permanent du bureau politique. Depuis qu’il a aboli toute limite à ses mandats, Xi ne rend plus de comptes qu’à lui-même. Par ses discours, comme par les films grand public que produit le régime, il chauffe à blanc le nationalisme de la population. Le « nationalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage » disait Jaurès. Depuis qu’il est président de la commission militaire du Parti, Xi Jinping a plus que doublé le budget des armées de son pays.

    Mais je ne crois pas qu’il envisage un débarquement en force, du type Normandie 1944. Depuis Sun Tsu, le summum de la stratégie en Chine est de vaincre sans porter le fer. Intimider pour faire céder. La stratégie sera plutôt celle d’une strangulation lente. Par un blocus naval et aérien qui se mettra progressivement en place, en profitant de tous les moments stratégiques d’absence américaine – dus à des crises dans d’autres régions, à des élections trop disputées, ou à des scandales du type du Watergate. C’est à la faveur de cette affaire que la Turquie s’était par la force emparée, à l’été 1974, de tout le nord de l’île de Chypre. Trop occupés par leur problèmes domestiques, les Américains n’avaient, alors, pas réagi.

    Renaud Girard (Geopragma, 27 octobre 2021)

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  • L’Union européenne ne fait peur à personne !

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard, cueilli sur Geopragma et consacré à la faiblesse géopolitique de l'Europe. Renaud Girard est correspondant de guerre et chroniqueur international du Figaro.

     

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    L’Union européenne ne fait peur à personne !

    Lorsque, le 10 septembre 2019, la Présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula Von der Leyen, installa son Vice-président, l’Espagnol Josep Borrell, dans ses fonctions de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, elle lui dit : « Nous devons être une Commission géopolitique ! ».

    Historiquement, sous l’influence du géographe allemand Friedrich Ratzel, le terme géopolitique désigne l’étude des rapports de pouvoir entre Etats. Ratzel (1844-1904), premier théoricien du Lebensraum (l’espace vital), estimait que la politique étrangère de l’Allemagne devait veiller à toujours maintenir des rapports de force favorables avec ses voisins. C’est d’ailleurs ce que fit son compatriote Bismarck, le Chancelier de fer, qui dirigea, avec talent, les affaires allemandes de 1870 à 1890. L’Allemagne bismarckienne était un Etat respecté dans le monde, tout en sachant éviter tout aventurisme.

    Bien que dotée depuis un an et demi d’une « Commission géopolitique », on ne peut pas dire que l’Union européenne (UE) apparaisse vraiment comme une puissance respectée dans le monde. Non seulement elle ne fait peur à personne, mais elle se laisse marcher dessus avec une singulière complaisance. Il y a la forme (qui compte beaucoup en diplomatie) et il y a le fond.

    Sur la forme, on a vu, au cours du premier tiers de l’année 2021, la Commission européenne se faire humilier par les deux grandes autocraties expansionnistes voisines de l’Union. Le 5 février 2021, alors même que M. Borrell était en visite à Moscou, les autorités russes expulsaient trois diplomates européens (un Allemand, un Polonais, un Suédois), sous prétexte qu’ils auraient participé à un rassemblement de soutien à l’opposant Navalny.

    Le 6 avril 2021 à Ankara, lors d’un sommet entre l’UE et la Turquie, on assista à une scène hallucinante : le président du Conseil européen, Charles Michel, et le président Recep Erdogan s’assirent face à face dans des fauteuils confortables, sans penser à en avancer un pour Madame Ursula Von der Leyen qui, plutôt que rester debout, décida d’aller s’asseoir sur un sofa au fond de la salle. Cet incident – aussitôt qualifié de sofagate par les journalistes – n’a pas seulement illustré l’absence de courtoisie élémentaire de ces deux hommes politiques belge et turc. Il a aussi – ce qui est plus grave – souligné l’absence d’unité à la tête de l’UE et l’existence d’une rivalité délétère entre son Conseil (organe de nomination et de décision représentant les 27 Etats membres) et sa Commission (organe de gestion des intérêts européens, détenant le monopole de l’initiative).

    Sur le fond, abondent hélas les preuves que l’UE ne se fait plus respecter.

    Le 23 mai 2021, le dictateur biélorusse Loukachenko a fait atterrir de force à Minsk un avion européen, de la compagnie Ryanair, reliant deux capitales européennes, Athènes et Vilnius. Tout cela pour s’emparer d’un opposant de 26 ans, qui fut l’un des principaux journalistes biélorusses à avoir dénoncé la fraude des élections présidentielles d’août 2020.

    Une semaine plus tôt, à l’autre extrémité du territoire de l’Union en diagonale, se déroula un incident montrant également un manque de respect pour l’UE. En représailles du fait que l’Espagne ait accepté de soigner chez elle le chef du Polisario (mouvement des Réguibats, tribu saharienne militant pour l’autodétermination de l’ex-Sahara espagnol, annexé par le Maroc en 1975), les autorités marocaines ont lancé, à l’assaut de l’enclave espagnole de Ceuta, des milliers de jeunes hommes et adolescents problématiques, dont elles furent ravies de se débarrasser. Le gouvernement marocain sait très bien que, sur le territoire de l’UE, on n’expulse jamais les mineurs isolés.

    Il n’y a pas qu’aux trafiquants de drogues et d’êtres humains que l’UE ne fait pas peur. Les hackers, qu’ils soient étatiques ou non, ne la craignent pas non plus. Le territoire de l’UE est devenu le ventre mou du monde de toutes les attaques cyber. Le 4 mai 2021, Belnet, le réseau informatique de la Belgique, a été paralysé par une attaque, au moment où son Parlement s’apprêtait à tenir une réunion sur la minorité chinoise persécutée des Ouïghours… Autre exemple incriminant la Chine, elle essaie régulièrement de voler informatiquement ses plans à Airbus.

    La Russie, quant à elle, tolère sur son sol quantité de cyber-corsaires. Pour obtenir des rançons, ceux-ci attaquent des sociétés privées ou des institutions publiques, telles que les hôpitaux. Les services russes et chinois ne se gênent pas pour déposer des « implants » (des logiciels dormants activables à distance) sur les grandes infrastructures européennes.

    Face à ses adversaires, il est grand temps que l’UE élabore une politique de sécurité digne de ce nom. Pour passer enfin à la contre-offensive. 

    Renaud Girard (Geopragma, 28 mai 2021)

     

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  • L’Iran, nouveau pion de la realpolitik chinoise...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard, cueilli sur Geopragma et consacré au rapprochement stratégique entre la Chine et l'Iran.

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    L’Iran, nouveau pion de la realpolitik chinoise

    Dans le jeu d’échecs planétaire qui oppose les Etats-Unis à la Chine, cette dernière vient de s’emparer d’une case importante. Le 27 mars 2021, le ministre des affaires étrangères de l’Iran s’est rendu à Pékin pour y signer un pacte de coopération stratégique avec la Chine sur 25 ans. Les Chinois réaliseront en Iran des investissements d’un montant équivalent à 400 milliards de dollars, dans les domaines des infrastructures routières, de l’énergie, des télécommunications et de la cyber-sécurité. En échange, les Iraniens offriront à la Chine un accès prioritaire à leurs ressources gazières et pétrolières, et ce à des prix 12% inférieurs à ceux du marché. La Chine a toujours cherché à sécuriser ses approvisionnements énergétiques, indispensables pour faire fonctionner « l’atelier du monde ». Un volet de coopération dans le renseignement militaire est joint à ce pacte.

    Dans certaines technologies, la Chine n’a plus rien à envier aux Etats-Unis. Dans les télécommunications, la firme chinoise Huawei a pris une avance considérable, notamment dans la 5-G. En matière de cyberguerre, la Chine court également en tête de peloton. Elle est, par exemple, parvenue à voler à Boeing les plans secrets de son avion de transport militaire C-17 Globemaster, ce qui lui a permis de construire en un temps record son appareil Xian Y-20. Qui sait cambrioler sait aussi se protéger des voleurs. Les ingénieurs cyber chinois fourniront à l’industrie nucléaire iranienne les moyens de se protéger contre les intrusions étrangères, comme celles opérées ces dix dernières années par les Etats-Unis et Israël. L’Iran vient de subir une humiliation. Le samedi 10 avril 2021, son président montrait fièrement à la télévision le lancement de nouvelles cascades de centrifugeuses, plus performantes dans l’enrichissement d’uranium. Le lendemain, par une attaque sophistiquée, Israël parvenait à paralyser le complexe de Natanz, première installation nucléaire iranienne.

    Depuis 2020, la Chine a supplanté l’Union européenne comme premier partenaire commercial de l’Iran. En effet, après le retrait il y a trois ans de l’Amérique de l’accord nucléaire avec l’Iran du 14 juillet 2015 (dit JCPOA), les firmes européennes ont toutes suspendu leur commerce avec Téhéran, par peur de représailles du Trésor américain, ou simplement par manque de banques volontaires pour effectuer les transactions.

    Par ce pacte, la Chine applique l’un des plus vieux principes de la géopolitique : « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Elle est la cible de sanctions américaines de plus en plus nombreuses, prises pour punir son indifférence aux droits de l’homme (à Hong-Kong ou au Xinjiang) ou son mépris de la propriété intellectuelle occidentale. Elle s’allie donc avec la Perse, pays économiquement et politiquement boycotté par les Américains depuis plus de quarante ans.

    Le régime théocratique chiite iranien partage l’indifférence aux droits de l’homme des hiérarques communistes chinois. Il ferme les yeux sur les politiques de rééducation forcée des musulmans ouigours de la province chinoise du Xinjiang. Après tout, ce ne sont que des sunnites, turcophones et non persanophones.

    Feu l’ayatollah Khomeiny rêvait d’emmener derrière lui les chiites et les sunnites, ensemble, vers une grande révolution islamique mondiale. La sanglante guerre civile d’Irak entre les deux communautés, commencée en 2006 et jamais éteinte depuis, a définitivement eu raison de ce rêve. Bien qu’ils maintiennent le slogan éculé de « Mort à Israël ! », de moins en moins fédérateur auprès des nations arabes, les dirigeants iraniens actuels ont compris que les chiites ne pourront jamais plus prétendre à un leadership sur l’Islam entier. Dans leur grande masse, les sunnites (un milliard et demi de fidèles dans le monde) considèrent le chiisme au mieux comme une regrettable déviation, au pire comme une hérésie punissable de décapitation immédiate.

    Réalistes, les stratèges iraniens ont concentré leurs efforts au Moyen-Orient sur les minorités chiites (ou apparentées au chiisme comme les alaouites syriens). Ils ont réussi à créer un axe Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth les menant jusqu’à la Méditerranée. Cet axe est désormais offert à la Chine pour enrichir sa BRI (Belt and Road Initiative), ou Routes de la Soie. Si un jour apparaît un gazoduc reliant les rivages du Golfe Persique à ceux de la Méditerranée, on peut parier qu’il sera construit, puis entretenu, par les ingénieurs chinois.

    Comme on l’a vu dans son allocution enregistrée pour le Sommet de l’Union africaine le 5 février 2021, la stratégie diplomatique de Joe Biden est empreinte d’un néo-moralisme, qui va par exemple jusqu’à une défense intercontinentale des « droits des LGBTQ ». C’est gentil, mais sans doute pas suffisant pour stopper les grandes avancées stratégiques de la Chine, au Moyen-Orient comme en Afrique…

    Renaud Girard (Geopragma, 14 avril 2021)

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